Miroir, mon beau miroir

Je n’ai jamais été très complexée par mon physique ou mon poids. Oui il m’est arrivée de douter de moi, et je ne prétends pas être un canon, mais je crois que j’ai eu la chance de grandir à l’écart des images des canons de beautés bombardées un peu partout. De même, le physique d’autrui n’a jamais été l’élément central dans mes rencontres… bien au contraire. J’ai mis du temps à réaliser cette chance.

Jusqu’au jour où…

Pendant une année (9 mois pour être précise), j’ai été assistante de français dans une école en Angleterre. J’habitais à Leeds et l’école se situait à Mirfield, soit un petit village à 30 minutes en train. Chaque jour, je traversais un immense centre commercial pour me rendre à la gare. Ou devrais-je dire : chaque jour je traversais une jungle d’affiches publicitaires, de mannequins en plastique, de photographies de jeunes femmes parfaites. Au départ, tous ces messages publicitaires me laissaient totalement indifférente. J’avais conscience des innombrables retouches Photoshop et des mensonges qu’ils véhiculaient. Pourtant, au fil des semaines et des mois, les images commencèrent à s’immiscer sous mes paupières et à se frayer un chemin jusqu’à mon cerveau.

C’est  là que les choses se sont compliquées…

Ces images qui me laissaient autrefois de marbre commencèrent à m’interroger. Sans vraiment m’en rendre compte, je me mis à scruter les silhouettes placardées et les mannequins en plastique. Mon regard ne glissait plus sur ces « canons » sans les voir, au contraire… il se perdait sur leurs mollets, leur tour de taille, de poitrine, leurs dents, leurs bras etc. Lorsque je détournais mes yeux, c’était pour scruter mon corps d’un œil critique : l’image qu’il me renvoyait ne correspondait pas à celle que me renvoyait les « canons »  autour de moi. Je commençai à juger mes jambes trop grosses, mes bras trop gros… Pour la première fois mon esprit se rebellait contre mon corps.

De plus en plus hypnotisée, manipulée, noyée sous ses images, je me persuadais d’être trop… ou pas assez…

Dans un espoir désespéré pour retrouver ma confiance en moi et m’assurer que j’étais « normale »  je me rendis dans l’un des magasins dont j’observais les vitrines depuis si longtemps. Anxieuse, je choisis l’une des robes portée par un mannequin en vitrine. J’espérais qu’elle m’irait aussi bien qu’au mannequin et que je pourrais rentrer dans la plus petite taille (un 36 ou un 38). En cabine, j’enfilai la robe et jugeai le résultat. La taille convenait, ce qui était déjà un exploit pour moi. J’essayai de me convaincre : Non tu n’es pas grosse. Malgré tout, le miroir me renvoyait un reflet qui ne correspondait pas du tout au modèle plantée dans la vitrine, main sur la hanche. Je retirai la robe, les jambes flageolantes et la rendit à la vendeuse, le regard baissé. Je n’avais plus qu’une hâte : sortir de ce fichu magasin. À quelques pas de la porte je relevai la tête sur le fautif : le mannequin affublé de la dite robe. Je m’apprêtai à détourner le regard, mais quelque chose retint mon attention : une pince à linge. La  robe que je venais d’essayer, la plus petite taille du magasin, devait être retenue par une pince à linge pour tenir sur le mannequin en plastique rachitique.

Sonnée par cette découverte, je quittai le magasin. Je m’étais faite avoir !  Moi qui me pensais immunisée face à ses illusions je m’étais laissée berner par la propagande générale. À la fois déçue par moi-même et soulagée, je demandai pardon à mon corps.

La guerre intérieure entre mon esprit et mon corps n’a pas duré longtemps, mais qui sait combien de temps elle durera pour tous ces jeunes (et moins jeunes) en quête de modèle et d’identité qui se cognent tous les jours à ces miroirs déformés et déformants ?

Je m’inquiète pour celles et ceux qui pensent que la beauté est une question de mensurations parfaites, de critères auxquels il faut répondre.

Je m’inquiète pour celles et ceux qui ne voient pas la pince à linge…

 

Photo by DANNY G on Unsplash

Elodie Lauret Écrit par :

Un commentaire

  1. Marc
    13 février 2019
    Reply

    Merci d’avoir partagé cette anecdote qui est fait bien réfléchir 🙂

Laisser un commentaire