Enfant de la Creuse – Partie 2 –

L’ENFANT

La neige.

Sur mes mains qui n’ont connu que les caresses du soleil et des gouttes chaudes de la pluie de janvier. La neige si blanche.Tout est silencieux. Oh maman, si tu pouvais voir ça, ça tourne dans le ciel, ça tourne avant de tomber, doucement, si doucement, comme pour ne pas faire de mal au sol. Ça se dépose sur tout : les maisons, les abri-bus, les granges, les feuilles, les fleurs, les poubelles, les cheveux. Et tout devient si silencieux. Seul ton rire peut percer le silence de la neige, maman. Dis-moi comment c’est là-bas ? Est-ce que ça sent toujours les épices et l’océan et la poussière ? Est-ce que le rhum continue à tourner les têtes et les cœurs ? Dis-moi toi.

Je veux rentrer.

Je veux rentrer avant d’être partie, avant qu’on m’est arraché à toi. Je veux retrouver ce que je n’ai pas connu. Je veux rentrer là où je n’ai jamais été.

Je veux…

Tu te souviens quand on chantait, à la nuit tombée ?  Notre chant, en même temps que les grillons, un chant qui fait du bien au cœur, un chant, je me souviens des paroles, pas du sens.

 

On a arraché ma langue.

 

Il me reste cette langue, la langue de la trahison. Celle replantée sur le cadavre de l’autre.

Envahissante. Elle ne chante pas cette langue.

Elle scande.

Elle crie.

Elle sépare.

Elle juge.

J’ai beau essayer, elle ne dira jamais ce que tu es.

Elle ne pourra jamais dire ta beauté, tes ombres à la lueur des bougies, tes grondements, tes neiges noires, tes montagnes. Ils sont pâles ces mots, ils ne reflètent rien de la réalité des cascades de verdures, des odeurs enivrantes, des reflets du ciel dans l’océan. Je le jure, ce n’est pas faute d’avoir essayé. Tu m’échappes.

Dans mes nuits je te serre si fort entre mes paupières. Si fort, mes yeux débordent de toi. Tes cascades ruissellent sur mon oreiller.

J’ai beau saigner ma mémoire, je ne me souviens pas :

La dernière image, celle qui aurait dû laisser une trace indélébile, là, sous mon crâne, là dans ma mémoire, cette dernière image s’est effacée. Même ça ils l’ont pris. Je crois, je crois que l’image s’est noyée dans mes larmes, quelque part au-dessus de toi.

La main de mon frère, serrée dans la mienne. L’estomac au fond des jambes, ça chatouillait dans mon ventre. Ça chatouillait mais je ne riais pas.

Mes oreilles bouchées.

Je n’ai plus jamais repris l’avion.

Pour te voir, peut-être que cette fois je rigolerais.

Peut-être.

 

Quand je me regarde dans le miroir, je vois des bouts. Des bouts de ce que j’aurais pu être.

Des miettes. Pas même des pièces à assembler. Simplement des miettes, récupérées au fond de mes poches trouées.

Ils ont pas voulu me laisser plus.

Même aujourd’hui, je n’obtiens que des miettes.

Je ne suis plus humaine, juste un pigeon condamné à glaner des miettes.

Je suis en miette.

 

Ça ne s’est pas imposée. Ça s’est insinuée, petit à petit dans mon esprit. Cette idée de retourner là-bas, sur les lieux, retourner auprès de toi. Et pendant que ça s’insinuait, la peur grandissait.

Après ça, plus rien ne sera comme avant.

Je regarde le soleil en face, même si je dois me brûler la rétine.

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Elodie Lauret Écrit par :

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