Réminiscence 1 – Compostelle un jour de pluie

Quelque part entre Saint Jacques de Compostelle et Muxia.

Il n’a pas arrêté de pleuvoir. Depuis notre départ de l’auberge, on marche sous la flotte. Jusqu’à Saint Jacques, j’ai été chanceuse, mais depuis c’est le déluge.

La pluie peut tremper mes vêtements, mon sac à dos, mes cheveux, mais elle n’atteint pas ma détermination et ma joie d’être là. 

Je marche avec une amie italienne rencontrée sur le chemin. On se connaît depuis moins de deux jours mais j’ai l’impression qu’on se connaît depuis toujours. La discussion est facile, les rires aussi. Il n’y a pas de filtre, seulement une conversation de cœur à cœur. Les amours perdus, les amitiés toxiques, le futur incertain, les erreurs, les apprentissages de la vie, les voyages, les bobos de pèlerins, les techniques pour faire pipi en toute circonstance. Entre deux gouttes d’eau, on partage des raisins secs – plus si secs. Après plusieurs heures de marche, la faim commence à se faire sentir. Aucun bar à l’horizon, pas un village. Il faut encore marcher plusieurs kilomètres.

Enfin, on aperçoit un mini-village et son unique bar. On ne se concerte pas et, sous le porche, on retire nos k-way. En dessous, mes vêtements sont trempés. On frisonne toutes les deux. Ah, de la chaleur ! Nos sacs à dos s’accordent un repos bien mérité, appuyés sur nos chaises. Le bar est quasiment vide. Seulement un papy attablé dans un coin et une dame à peine moins âgée que lui. Elle s’approche de nous, nous parle en faisant des gestes. Mes notions d’espagnol et ses mimes me permettent de comprendre qu’elle nous propose de nous sécher… à sa manière. Malgré mon essai pour la dissuader, elle va chercher des journaux, soulève mon tee-shirt et tapisse mon dos de papier journal pour éponger l’eau et en fait de même avec mon amie. J’ai l’impression d’être sa petite-fille. Si elle pouvait nous donner un bain chaud, elle le ferait.

C’est là que le troisième personnage du bar entre en action : le serveur. Il s’approche de notre table et nous demande ce qu’on désire.
Dos tés y dos tortillas por favor (deux thés et deux tortillas s’il vous plait).
Avant de disparaître dans la cuisine, il nous apporte nos thés, un œuf dur – il dit quelque chose que je ne comprends pas – et un casse-tête. L’œuf est un faux, et on comprend l’humour du personnage. Le casse-tête est une boîte remplie de lamelles. Il s’agit de faire s’emboîter parfaitement chaque pièce dans la boîte. Et comme son nom l’indique… on se casse la tête pendant plusieurs minutes. Nos tortillas arrivent, le casse-tête repart en morceaux. Tant pis. Ça nous aura fait patienter.

Le temps s’arrête dans ce bar familial et avec la pluie à l’extérieur, on aimerait rester là pour toujours. Mais on a encore pas mal de kilomètres devant nous. Réchauffées par les tortillas et le thé, on se prépare à partir. La dame accoure pour nous retirer le papier journal et je dois reconnaître que sa technique a marché. Bon, quand faut y aller, faut y aller !

Le serveur nous raccompagne jusqu’à la porte et essaie de m’expliquer une dernière chose en pointant l’angle du bar. Est-ce que le chemin est par là ? Non. Il insiste. Je contourne le bâtiment pour découvrir une peinture sur toute la façade :

un pèlerin tenant un soleil qui le protège de l’averse au-dessus de lui.

On repart sous la pluie, un soleil dans le cœur.

 

 

 

Elodie Lauret Écrit par :

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