Il existe des individus éponges. Spongieuses, ces personnes voyagent dans le monde, circulent entre les individus, se fondent dans le décor. Pleines de creux, elles se nourrissent des émotions, des sensations, des idées qui flottent dans l’air.
Elles se nourrissent aussi de leurs rencontres :
Elles absorbent l’essence de ceux qu’elle croise, se l’approprie, pour expulser, comme s’ils étaient siens, les comportements d’un autre.
Miroir d’une altérité, ces individus plus que quiconque, sont des mosaïques complexes, où persistent les résidus des êtres qui ont traversé leur vie. Il s’agit d’un certain conformiste inconscient. Faire du corps un miroir pour l’autre, lui renvoyer sa propre image déformée par ce socle mouvant qui absorbe et rejette des manières d’être. S’adapter à diverses personnalités, se perdre dans les courants individuels qui forgent et déforment ces éponges à l’identité mouvante.
Identités en mouvements perpétuels, instables en permanence, fragiles, incertaines.
Qui sont-ils réellement ? De simples reflets déformés ? Des êtres trop malléables ? des individus en quête d’une identité, qu’ils picorent à droite et à gauche ? Sont-ils capables de se refléter eux mêmes ? De laisser entrevoir le jus de leur propre essence ?
Peut être leur essence n’est-elle réduite qu’à cela, leur capacité à absorber et à recracher des données ?
Ils se définissent par l’impossibilité pour eux de fixer leur âme, d’ancrer leur être à un seul et même port. Pour eux, s’extraire de ces personnalités extérieures est difficile, puisque sans cet autrui, sans ces personnalités diverses, vidés de leur substance, ils se sentent plus creux que jamais.
A quoi peut donc servir une éponge si elle n’absorbe pas le trop plein des autres et le monde, si elle ne permet pas de recracher l’autre et le monde de façon brute ?
Alors ces éponges doivent s’adapter. S’adapter à cette capacité ou à cette impossibilité, tout dépend du point de vue. Certains choisiront de se laisser ballotter, de ne jamais acquérir de stabilité, n’apprendront pas à tirer profit de cette particularité. Ils se réfugieront pour certain dans des paradis virtuels en tout genre, alcool, drogue, sexe… Là où ils se sentiront un peu vivant, un peu eux mêmes, ou tout du moins ils seront libérés de l’emprise de ce monde regorgeant d’informations qui exercent sur leurs âmes et sur leur être une emprise permanente. Ils remplaceront l’emprise des êtres et de l’extérieur par l’emprise de ces substances, de ces actes qui eux aussi forgent des comportements, des manières stéréotypés d’agir et de réagir.
Certains, les plus chanceux, choisiront de faire de ce « vice de fabrication » quelque chose de productif en recrachant toutes ces âmes, toutes ces essences dans des textes, de la musique, des productions en tout genre. Leur jus se déploiera dans l’art, parce qu’ils n’auront pas d’autres choix pour survivre à ce trop plein, à ces changements incessants de leur mode d’être. Alors seulement, dans une certaine mesure, ils pourront se réaliser dans leurs œuvres et se libérer de ce jus permanent qui déborde du monde et qu’ils absorbent en continu.
J’ai écrit ce texte il y a plusieurs années maintenant, en partant d’un ressenti profond et personnel. Si j’ai éprouvé le besoin de le reprendre et de le partager aujourd’hui c’est en partie grâce à la lecture de cet article .
Photo by Heather Schwartz on Unsplash
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