Vari-sel ?

À l’âge de quatre ans je fus frappée par un mal étrange dont le nom me réjouissait d’avance : vari-sel. Ma famille s’extasia très tôt de l’éclosion de boutons discrets sur mes avant-bras.

— Regardez, disait ma mère, on dirait un bouton de vari-sel !

— Ah oui oui ! A coup sûr c’en est un, renchérissait un oncle, une tante, une grand-mère.

Ravie par cette nouvelle je paradais, les bras en croix.

— J’ai la vari-sel ! J’ai la vari-sel ! Chantais-je à tue-tête dans toute la maison.

Mes parents me lançaient parfois des regards désolés que je ne parvenais pas à déchiffrer.

Je veillais farouchement sur ces bourgeons. Mes précieux cristaux de sels, comme j’avais hâte qu’ils se déploient. De nouveaux spécimens pointaient leurs museaux roses tous les jours. Bientôt je serai un véritable biscuit-apéro. Un enfant-tuc, un tuc-enfant. Je trépignais d’impatience. Mes cousins allaient être tellement jaloux ! Je rêvais d’ors et déjà de ce moment béni où mes boutons étincelleraient de leurs éclats salés. Mes bras et mes jambes en seraient recouverts. Alors, je cueillerai, du bout de ma langue, ces fruits gorgés de sels. À l’abri des regards je portais à mes lèvres l’une de ces curiosités. Un léger goût de mer titillait déjà mes papilles…ils n’étaient pas encore suffisamment mûrs…encore un peu de patience.

Puis, un matin, vint le constat, la déception, l’effroi : les boutons ne fleurissaient pas. Aucun grain de sel n’ornerait ma peau. À la place ce fut une éclosion de sensations désagréables qui. Oh comme ils me faisaient souffrir ces boutons ! Je me grattais à longueur de journée, me tordais d’inconfort, la moindre parcelle de mon corps assaillie par ces saletés de boutons ! L’amertume d’avoir été dupée doublait, triplait ma peine.

J’avais crue en eux, je leur avais accordé ma confiance et c’est ainsi qu’ils me remerciaient ! J’avais été roulé, dans le sel amer, jusqu’au cou. Bernée. Par ma mère et son air enthousiaste, par ces bourgeons à l’allure innocente. Bernée par la sonorité même de cette maladie infantile. Promettre à un enfant des heures de plaisirs gustatifs pour ensuite le jeter dans les orties, qu’y a-t-il de plus cruel ?

C’était donc cela la vari-sel, ou comme je l’appris plus tard la varicelle. Ah, elle m’avait bien eue ! Sacré vari-sel.

Elodie Lauret Écrit par :

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